Tridaine, quelle importance… ? Tridaine, à quoi bon… ?

Tridaine, quelle importance… ?
Tridaine, à quoi bon… ?

« Il n’y a pas de sécheresse ni de catastrophe naturelle. Mais la famine existe bel et bien. Nous sommes obligés de manger n’importe quoi, y compris les racines des papayers, parce qu’il existe une catastrophe plus grave encore, la sécheresse des cœurs humains. »

Ong Thong Hoeung

Au mois d’octobre se tenait à Namur le séminaire « Être riverain de carrières aujourd’hui ». De ce colloque, dont il y aurait d’autres choses à dire, je retiens ce message, presque subliminal, qui s’est répété à plusieurs reprises, à savoir que les gisements exploitables pour les carrières, se trouvent en des lieux choisis par l’arbitraire de la nature. Et qu’il n’est donc pas d’autre choix pour les habitants que de s’y soumettre ou de s’effacer.

Cette évocation a pour but de souligner la philosophie du profit de certaines grosses entreprises et de bon nombre de multinationales. Le profit à tout prix. Le profit sans limites. Surtout, le profit sans partage.

Par la télévision, le cinéma, nos lectures, nous avons tous aujourd’hui parcouru le monde à plusieurs reprises. Même depuis notre fauteuil, nous avons pu voir combien grande est la proportion des régions pauvres et défavorisées. Combien nous avons de la chance de vivre dans un continent et dans un pays qui ont tout de la corne d’abondance.

Pourquoi, diable, nous acharnons-nous à détruire ce potentiel ?

Un très beau livre est paru en 2005 : La Fête des Arbres. (Écrit par Benjamin Stassen et publié aux Éditions Antoine Degive). Il retrace, dans le détail, une centaine d’années de combats pour la protection des arbres et des paysages de nos régions. Depuis 1905 tous les grands noms belges des arts et de la culture, de l’édition, de la politique, de l’industrie même (!) se sont unis pour préserver les richesses naturelles de Wallonie et du pays. Des projets industriels, commerciaux, touristiques ; des projets de toutes espèces, mais toujours les mêmes dans leur substance, constituant des attaques sans cesse répétées contre l’environnement en abusant de l’argumentaire immuable et trompeur de l’emploi.

En refermant le livre, on est édifié par ce gigantesque effort commun pour sauver la Vie. Beaucoup de projets destructeurs ont pu être évités et de nombreux pans de notre beau patrimoine ont pu être préservés. Mais beaucoup d’autres ont pu voir le jour. Ils prétendaient avoir vocation à créer revenus et emplois. Après quelques décennies, ils ont pourtant disparus laissant derrière eux, détruits et défigurés, des lieux autrefois enchanteurs.

D’une tout autre ampleur, le projet de Lhoist a marqué de son empreinte, depuis 1850, le pays de Jemelle, de Rochefort et de Marche-en-Famenne. À juste titre plusieurs générations de travailleurs et de nombreuses familles lui en sont légitimement reconnaissantes.

Aujourd’hui, l’exploitation atteint la profondeur légale autorisée. Si Lhoist devait obtenir l’autorisation de franchir cette limite et d’approfondir la carrière, des prévisions, peut-être optimistes, laisseraient espérer un bonus de quinze à vingt ans d’extraction.

Ce faisant, Lhoist franchirait un pas qui l’engagerait sans retour vers l’appropriation et la destruction d’un patrimoine sur lequel il ne possède aucun droit.

Entreprise familiale à l’origine, Lhoist s’est heureusement développé jusqu’à devenir un puissant groupe international et dispose de moyens techniques performants. Le carrier n’a jamais ignoré que l’exploitation du site était limitée dans le temps et savait évaluer cette limite longtemps à l’avance. Ne pouvait-il anticiper cette échéance pour organiser une reconversion respectueuse des hommes et de l’environnement ? Quel soutien les Pouvoirs Publics peuvent-ils apporter à cet effort ?

Est-il juste et correct de reporter sur les voisins la responsabilité d’un manque de prévoyance ou peut-être d’un manque d’intérêt pour l’avenir des personnes ? Des travailleurs et des riverains ?

Comme nous le montre le livre dont nous avons parlé et dont le récit débute aux premières années du vingtième siècle, le souci écologique n’est pas neuf et beaucoup devinaient déjà le danger. Aujourd’hui la planète tout entière constate les fissures qui se multiplient dans l’ordonnance d’une nature qui est totalement asservie à l’appétit financier. Toute la nature est marchandisée, soupesée, évaluée et mise à prix. Condamnée ?

Nous sommes soumis au dieu de la Croissance, nouveau sauveur du monde qui dévore tout. Son appétit est insatiable et nous lui sacrifions notre destinée d’hommes. Il nous défigure. Ce dieu menteur nous drogue et nous anesthésie en nous gorgeant de gadgets et de colliers de perles fabriqués avec la chair et le sang de la terre.

Ceux qui se dissimulent derrière cette idole et qui prêchent son évangile de consommation se moquent des travailleurs qui ne leur sont que très provisoirement nécessaires.

Peu leur importe Tridaine, peu leur importe Jemelle, Rochefort et toute la région.

Ils ont faim, c’est tout.

 

Fr. Jean-Paul Wilkin

Abbaye Notre-Dame de Saint-Remy

Photo © Guy Focant

Photo © Guy Focant

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